Lorsque l’on évoque l’éducation dans le domaine du numérique, on imagine bien souvent un barbu, content de lui, expliquant des concepts aux consonances anglo-ronflantes comme “cloud”, “cross-devices” ou “responsive”. Au-delà de cette dimension technophile qui peut amuser, recourir aujourd’hui aux outils numériques peut malheureusement se transformer en une aventure froide, insensible, déconnectée de l’humain. Car l’informatique en général et le monde du web en particulier sont encore trop mûs par une forme de cléricalisme technique excluant les néophytes pourtant les plus concernés, d’abord les clients eux-mêmes, mais surtout les utilisateurs finaux, ceux qui utilisent tous les jours les outils censés les aider à mieux travailler.
Et cela commence dès la conception du projet ; on voit malheureusement passer trop de cahiers de charges se concentrant sur des aspects techniques n’ayant aucune valeur ajoutée, voire qui enferment un usage avant même d’avoir véritablement détecté un besoin. On pose des questions techniques “Avec quel CMS, quel framework voulez-vous construire votre future plateforme ?”, “Quel plugin choisir ?”, etc. Mais on cherche trop peu souvent à savoir par exemple s’il est vraiment utile de faire telle ou telle chose. Ou s’il n’en existe pas d’autres plus importantes.
Pourtant, afin de réussir ensemble, le client et le prestataire doivent parler la même langue : s’entendre sur des objectifs à atteindre, des objectifs de business et d’adoption principalement. Certes, il existe, dans chaque secteur, des notions, des termes voire même des usages spécifiques. Mais tout comme les spécialistes du numérique découvriront graduellement le jargon et la logique métier de leur client, ce dernier découvrira au fur et à mesure de l’avancement du projet les bonnes pratiques et les règles du web à respecter.
L’éducation à l’ère du numérique ne se situe vraiment pas – en tout cas pas uniquement – dans l’apprentissage technique. L’enjeu est ailleurs. Il se situe dans notre capacité à renouer avec le plaisir de partager et à élaborer un ouvrage juste, utile et pérenne.
Car la relation éducative client-prestataire n’est pas univoque. Elle est à double sens. C’est un véritable partenariat. Une vraie association. Il n’y a pas d’un côté le client qui exige, cadre et tranche et de l’autre le prestataire qui expertise et s’exécute. En ce sens, les méthodes agiles sont de véritables leviers pour permettre une éducation de l’ensemble des acteurs d’un projet. Une éducation pour que chacun grandisse. Et ainsi remettre l’humain au cœur des préoccupations.
Le sacro-saint cahier des charges a régné en maître pendant des décennies dans le monde de l’informatique. Si l’on peut comprendre qu’il faille préalablement à tout projet circonscrire un périmètre, établir les tenants et les aboutissants, définir des objectifs, il est moins facile d’accepter l’idée de figer dès le départ l’ensemble des fonctionnalités qu’une application devra proposer. La défiance du client à l’égard du prestataire est certainement à l’origine de ce zèle. Le manque d’implication et de conseil de la part du prestataire le fait perdurer.
Il faut pourtant réapprendre à faire confiance et dialoguer intelligemment. Car l’informatique, et encore plus le web, est un secteur d’activité où l’on peut se permettre d’expérimenter puis de rapidement soumettre à l’épreuve de l’usager les développements réalisés progressivement. N’acceptons plus le cahier des charges comme seul plan de construction. Acceptons également de ne pas faire tout ce qui était “prévu”. Obligeons-nous à discuter régulièrement, prenons le temps d’interviewer les utilisateurs, de replacer le numérique dans un contexte plus vaste lié au développement même de l’entreprise, priorisons régulièrement les tâches et mesurons pour discuter de l’impact de travaux réalisés.
Le mot éduquer provient du latin “ex ducare” qui signifie “sortir du chemin”. L’éducation n’est donc pas qu’une simple transmission de savoir. Elle a le souci également de rendre libre. Et ce n’est pas si aisé que d’obliger un de ses clients à faire un pas de côté.
Pourtant, comment innover s’il n’est pas possible de bousculer les règles ? De remettre en cause des habitudes ? De s’interroger au moins sur certaines pratiques et certains usages ? De prendre le temps et le recul nécessaire pour se poser des questions que l’on n’ose poser habituellement : “Qu’est-ce qui me prend du temps ?”, “Qu’est-ce que je pourrais automatiser ?”, “Pourquoi je ne vois pas assez untel ?”…
Les startups comme les PME ou les grands groupes ont besoin d’innover et les projets numériques ne doivent plus être pensés pendant six mois pour ensuite entrer dans un tunnel de développement pendant un an. Le prototypage par exemple est un excellent moyen de recueillir les besoins métiers et de comprendre et affiner l’usage avant même que de se lancer dans des développements coûteux et hasardeux.
L’informatique a cela de formidable qu’il est possible de tout faire. Mais ce n’est vraiment pas souhaitable. C’est pourquoi il est important de s’éduquer à la simplicité. Commencer par faire des choses élémentaires et les mettre en production rapidement et ainsi satisfaire au plus vite et obtenir des retours des utilisateurs à des fins d’amélioration. La performance résulte de cette simplicité et du sentiment partagé que les choses avancent.
Si les nouvelles technologies permettent effectivement de modifier notre manière de travailler, d’automatiser des processus et de nous libérer de tâches ingrates, il faut alors en profiter pour raffermir les liens qui unissent les collaborateurs.